L e b l o g d e D é l i v r e u r s D e M o t s
Luminesens - Ernst Jandl, textes choisis et transcrits de l'allemand par J. F. Mura dit K.J. Djii - Editions L'Atelier du Grand Tetras - 2013
Il faut oser s'aventurer dans la poésie d'Ernst Jandl ! Surtout pour la traduire, ou plus exactement la transcrire, en français, afin que la découvrent les curieux de poésie qui ne peuvent la lire dans sa langue d'origine.
Jean-François Mura dit K.J. Djii fait partie de ceux-là, très rares, qui ont osé le faire.
Ernst Jandl est né en 1925 en Autriche, à Vienne. Il restera à jamais marqué par la guerre qu'il débuta en 1943, jeune enrôlé dans la Wehrmacht et terminera, prisonnier, en Angleterre.
Après la guerre, il entreprend des études de littérature anglaise et allemande ; sa thèse soutenue, il devient professeur, ce qui lui permet de gagner sa vie. Il fréquente des cercles littéraires, écrit, commence à publier.
"1956 sera l'année qui marquera le vrai début de la carrière littéraire de Jandl" précise Jean-François Mura. En effet, le poète publie son premier recueil Andere Augen (qui passera inaperçu) chez le même éditeur que celle qui va devenir la femme de sa vie, poète déjà reconnue, Friederike Mayröcker. "Cette année marque donc le début d'une relation autant de création que d'affection pour les deux poètes dont les destinées seront désormais inséparables."
Dans la poésie de Jandl se trouve "une charge explosive" qui provoque dans le monde littéraire allemand, incompréhension voire rejet. Son recueil laut und luise paru en 1966, dix ans après son premier livre", est reçu comme une provocation", quoique amputé de textes que l'éditeur considère "comme trop blasphématoires et susceptibles de heurter le public."
En 1970, le troisième recueil de Jandl der künstliche baum (l'arbre artificiel) paraît en format de poche, donc à un prix accessible et c'est le succès populaire qui ne se démentira plus, y compris à l'étranger. "Ernst Jandl manque à l'appel depuis le 9 juin 2000".
"La langue de Jandl s'écoute ; son verbe s'adresse à nos oreilles avec une vitesse dénuée de toute fioriture ; il se passe quelque chose entre le monde et la voix parce que "le monde est à haute voix et que cette voix haute est belle !" explique Jean-François Mura.
Cet ouvrage bilingue permet la découverte d'une poésie concrète, vouée à l'oralité, et non dénuée d'engagement politique.
Il permet également à Jean-François Mura, lui-même poète, de s'interroger sur la problématique du passage de la poésie d'une langue à une autre : "traduction, transcription ou interprétation ?"
Je ne connais pas la langue allemande, mais à la lecture de la biographie d'Ernst Jandl que propose Jean-François Mura, au vu de la modestie dont il fait preuve dans sa réflexion sur son rôle de passeur de la langue allemande vers la langue française (lui-même maîtrise parfaitement l'une et l'autre), je suis convaincue qu'il ne trahit pas la poésie de Jandl. L'émotion que j'ai ressentie en lisant en français (à voix haute) les poèmes qui composent cet ouvrage de qualité est aussi juste que si je savais l'allemand.
Extraits :
luminesens
certains croient
groite et dauche
on peut pas
condonfre.
querre elleur !
lichtung
manche meinen
lechts und rinks
kann man nicht
velwechsern.
werch ein illtum !
démocratie
nos prises de position
vont comme des amis
qui se séparent
démokratie
unsere ansichten
gehen als freunde
auseinander
j'sui ki j'sui
j'ai ke dal dan mon bid
si dan mon bid kek'choz y avai
kelk'un d'otr j'srai
i bin deri bin
in mai mogn is nix drin
waun in mai mogn wos drinwaa
wari laichd a r aundara
la rage
du langage
est le poème
die rache
der sprache
ist das gedicht